Correspondant à Pékin C'est une nouvelle bombe qui explose aux pieds des dirigeants chinois, à dix jours d'un congrès crucial qui va désigner les nouveaux leaders pour la décennie à venir.
Une lourde enquête du
New York Times montre que la famille du premier ministre en exercice, Wen Jiabao, a pu accumuler une fortune considérable. Ses proches contrôleraient des actifs pour un montant colossal d'au moins 2,7 milliards de dollars, selon le quotidien américain, qui a épluché pendant des mois registres d'entreprises et autres documents juridiques. Cette fortune s'est constituée depuis que le chef du gouvernement est arrivé au pouvoir il y a dix ans.Même si la censure a immédiatement frappé, bloquant les sites Internet du journal américain - en chinois comme en anglais - et interdisant les recherches sur le sujet sur le Web, l'information va se répandre sur les réseaux sociaux chinois. Et conforter fâcheusement les citoyens dans le sentiment que leurs élites «communistes» sont incroyablement nanties voire corrompues. À Pékin, le pouvoir est furieux. Interrogé sur le sujet, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a répondu que ces informations «diffament» la
Chine et «obéissent à des arrière-pensées».
Des opérations juteusesWen Jiabao a toujours été décrit comme d'extraction modeste. Mais la mère du premier ministre, qui fut une humble institutrice du nord de la Chine, aurait pu faire en 2007 un investissement de 120 millions de dollars dans Ping An, un géant des assurances et des services financiers. La même année, les parts détenues dans cette société par les proches et amis de Wen représentaient jusqu'à 2,2 milliards de dollars.Dans la famille de Wen Jiabao, on pioche aussi la femme et les enfants. Son épouse Zhang Beili, surnommée la «reine des diamants» dans l'article, aurait accumulé une fortune dans les mines et les pierres précieuses, secteur étroitement contrôlé par l'État. Le fils du couple, Wen Yunsong a, lui, fait un joli coup en revendant sa société de technologie à un tycoon hongkongais. Puis en créant une société de capital-investissement devenue l'une des plus grosses de Chine et dans laquelle le gouvernement de Singapour est associé. Le frère cadet de Wen aurait pour sa part obtenu plus de 30 millions de dollars de subventions et de marchés publics pour son entreprise de traitement des déchets, et il contrôlerait plus de 200 millions d'actifs dans diverses sociétés. La famille aurait aussi investi dans des projets immobiliers à Pékin et dans une entreprise ayant participé à la construction du stade du «Nid d'oiseau» pour les Jeux olympiques de 2008.
Le «grand-père Wen»Surtout, le
New York Times décortique les méthodes employées pour faire des affaires sans apparaître. Très souvent, les noms des proches de Wen Jiabao «se dissimulent derrière des paravents et des instruments d'investissement impliquant des amis, des partenaires, des associés». En juin dernier, l'agence de presse Bloomberg avait déjà publié une enquête détonante sur
la fortune de la famille de Xi Jinping, le futur numéro un chinois. On y lisait que les investissements de sa famille étendue s'élèvent à près de 300 millions d'euros. L'article précisait que ces actifs ne sont reliés directement ni à Xi Jinping, ni à son épouse, ni à sa fille, et que rien ne laisse entrevoir d'opérations illégales. Mais il montrait déjà que, dans ces milieux, il y a de l'argent… Fous de rage, les dirigeants chinois ont alors bloqué et bloquent toujours le site de Bloomberg.Ces nouvelles révélations sur le train de vie de l'aristocratie rouge sont une mine de plus pour le parti, en panne de légitimité et en décalage croissant avec la population. Mais cette fois-ci, un certain nombre de Chinois s'interrogent. Il était de notoriété publique que la famille de Wen Jiabao était très riche. Mais en même temps, celui que l'on appelle «grand-père Wen» a toujours été le dirigeant le plus populaire, affichant la face paternaliste et bienveillante du régime. Il est aussi celui qui a tenu les propos les plus avancés sur les réformes politiques et la liberté d'expression. De là à penser que ses ennemis, notamment des caciques plus conservateurs, aient favorisé l'arrivée des informations sur sa fortune en de bonnes mains…