Mode : Créateur de génie, businessman mégalomane… Qui est vraiment Pierre Cardin ?
Le prolifique couturier est à l'honneur de deux documentaires, dévoilés en cette rentrée 2020, qui mettent en lumière les nombreuses facettes de Pierre Cardin, créateur mais pas que.
« Qui est cet homme qui a gagné des millions l’année dernière ? » s’interroge une voix off grésillante alors qu’un homme élégamment drapé dans une veste croisée descend les escaliers. « Son nom est Pierre Cardin », se répond à lui-même le narrateur. Pierre Cardin. Douze lettres et un logo tout à la fois en angles et en courbes pour « un homme », « un nom », « un mythe », comme le décrit le documentaire que lui consacrent Peter David Ebersole et Todd Hugues, dévoilé ce 23 septembre.
Pour beaucoup, Pierre Cardin est synonyme de créations futuristes, d’une histoire d’amour passionnée avec Jeanne Moreau, et, pour les aficionados d’architecture, d’une incroyable et extravagante maison-bulle posée comme un vaisseau extraterrestre dans le Sud de la France. Mais qui est vraiment le créateur qui, à 98 ans, reçoit encore les hommages de toute une industrie qui lui doit beaucoup ? Car en amont de la sortie de ce documentaire mode, quelques jours avant le début de la Fashion Week parisienne, a également été dévoilé un autre long-métrage, centré sur la mégalomanie du créateur qui s’est offert plus d’un tiers d’un village médiéval dans le Luberon. Portrait d’un monstre sacré qui intrigue.
Pierre Cardin dans sa maison-bulle, 2003.
Le phénomène Cardin
Pierre Cardin est beaucoup de choses, mais avant d’être celui qu'on connaît, il a étéPietro Costante Cardin, né le 2 juillet 1922 en Italie, dans la commune deSant’Andrea di Barbarana. Il a deux ans quand ses parents fuient l’Italie des chemises noires, douze quand il leur annonce qu’il veut devenir couturier même s’il ne sait pas ce que ça veut dire – à l’époque, il fait déjà des robes pour habiller ses poupées. Cardin a 14 ans quand il touche à des ciseaux de tailleur, chezBonpuis, à Saint-Etienne, où réside la famille naturalisée française. Mais déjà, Pierre Cardin voit loin, voit grand : ce seraParisou rien et, à la Libération, le voilà dans les rues de la capitale, demandant son chemin pour se rendre chezJeanne Paquin, l’un des grands noms de la Couture française de l’époque. SuiventElsa Schiaparelli, puisChristian Dioren 1946 ; le jeune créateur est premier tailleur au sein de la maison française, il participe à la création duNew Look, qui fera fureur l’année suivante. Là encore, le jeune homme veut plus, et l’obtient. Avec le parrainage de Monsieur Dior, Pierre Cardin ouvre en 1950 sa propre maison de Couture.
Construit de manière chronologique, le documentaire réalisé parPeter David EbersoleetTodd Huguesest une très belle hagiographie où se croisent de nombreux intervenants. Les collaborateur·rice·s et ami·e·s de longue date, les membres de sa famille, des stars du monde entier (Sharon Stone,Naomi Campbell) et des grands noms de la mode, parmi lesquelsJean-Paul Gaultier, qui a d’ailleurs fait ses premiers pas chez le couturier. Une armée chargée de dresser le portrait d’un homme unique en son genre, mais que tous peinent à qualifier, si ce n’est de «génie».
L’homme des premières fois
Pierre Cardin c’est un homme heureux quand il travaille, c’est lui qui le dit. L’ouverture de sa maison de Couture est enfin l’occasion de laisser briller son talent et de réaliser la vocation qui l’habite depuis tout petit.Self-made man, il est maître en sa demeure, contrôle tout, s’offre le luxe de toutes les premières fois. «Socialiste de la mode», il est le premier couturier à imaginer une collection de prêt-à-porter, que l’on peut admirer en 1959 dans les vitrines duPrintemps. Le scandale est total, la Chambre syndicale de la couture parisienne le met à la porte, l’empêchant de défiler lors de la semaine officielle de la Haute Couture. À ce sujet d’ailleurs, le débat fait rage entre les officiels qui assurent que Cardin n’a jamais été évincé, et la garde rapprochée du créateur, encore très remontée sur le sujet. Au rayon des premières fois, notons aussi les défilés masculins (qui séduiront lesBeatles, élégamment sanglés dans des costumes Cardin à leurs débuts) ; les castings d’une folle diversité (son mannequin vedette de l’époque a pour nomHiroko Matsumoto, et porte les silhouettes-clés de la maison)… Bref, tout ce qui s’éloigne des strictes conventions de l’époque. Ça tombe bien, les années 60 sont synonymes de changement, la jeunesse descend dans la rue, les jupes se raccourcissent et la liberté des corps est primordiale.
Les sixties c’est aussi la conquête spatiale et ça, Pierre Cardin adore.« L’ère lunaire », comme il le répète plusieurs fois, le fascine, là encore il est avant-gardiste, lorgne sur un futur que même nous ne connaissons pas encore. Ses créations s’épurent encore, les matériaux utilisés sont toujours plus innovants, 68 voit la naissance de laCardine, une robe thermo-formée. Est-ce parce qu’on le surnomme l’extraterrestre de la mode que le créateur cherche absolument à être le plus moderne possible, et, au passage, à toucher les étoiles ? Quoiqu’il en soit, ce passionnéd’espace peut se targuer d’être la seule personne au monde a avoir marché dans le costume deBuzz Aldrin, l’homme qui a posé le pied sur la Lune (ça se passe en 1971, et c’est au cœur des bureaux de laNASAque Pierre Cardin réalise ce rêve un peu fou).